Au cours de l'été 1943, en pleine occupation allemande, Django Reinhardt est au sommet de sa gloire.
Le guitariste, réputé pour son jazz manouche, se produit régulièrement dans les plus grands cabarets parisiens, autour de la place Pigalle. Même quelques officiers nazis assistent à ses représentations. Les nazis ayant commencé à déporter des tziganes et voulant mobiliser les artistes pour du travail obligatoire en Allemagne, Django décide de passer en Suisse. Arrivé au bord du lac Léman, le guitariste fréquente les lieux en vue à l'époque, comme le Savoy Bar. Il apparaît aussi pour un concert à Amphion en présence de nazis. Mais Django poursuit son but : la Suisse. S’il réussit finalement à passer la frontière, les douaniers de la frontière suisse le refoulent vers la France. À cette époque, la Suisse n'accorde pas l'asile politique aux Juifs et aux Tziganes victimes de la politique d'extermination nazie. Heureusement pour lui, Django Reinhardt, tzigane et jazzman, a des admirateurs dans les rangs de la Wehrmacht... Lorsqu’à la Libération, Django fait le bilan de ces années singulières, il reconnaît qu'on lui a sans doute sauvé la vie ; arrêté et amené à la Kommandantur par les Allemands, il a eu la chance de tomber sur un officier zazou, amateur de jazz. L’homme reconnaît l’artiste, et le laisse finalement partir.
Le durcissement de la répression allemande, consécutif aux tournants militaires que constituèrent Stalingrad et El Alamein, se fait durement sentir en France occupée. Rafles et déportations s'intensifient. La propagande allemande se sert également des grands artistes comme caution en les obligeant à jouer à Berlin.
Malgré cela, Django ne se produira jamais en Allemagne...
L'internement des Tsiganes en France 1940-1946 Marie-Christine Hubert
Durant la seconde guerre mondiale, les Tsiganes furent victimes des persécutions raciales des nazis. En Allemagne et dans la plupart des pays occupés, ils furent recensés selon des critères raciaux, internés dans des "Zigeunerlagers", déportés à Auschwitz où ils vécurent dans le "Familienlager" avant d'être exterminés dans les chambres à gaz en août 1944. La France est le seul pays occupé d'Europe de l'ouest où "l'Auschwitz Erlass" du 16 décembre 1942 ordonnant la déportation des Tsiganes à Auschwitz ne fut pas appliqué. À l'automne 1943, les Tsiganes français que l'on a recensés à Auschwitz ont été arrêtés dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais qui dépendaient du commandement militaire de la Belgique et furent déportés le 15 janvier 1944 par le convoi Z en partance de Malines en Belgique. Si les Tsiganes de France n'ont pas été déportés, ils ont été internés dans des camps d'internement, créés sur l'initiative des autorités allemandes, mais administrés et surveillés par les autorités françaises. Cet internement a perduré jusqu'en mai 1946, soit près de deux ans après la Libération. En France, les Tsiganes ont subi les conséquences de la seconde guerre mondiale bien avant l'Occupation allemande. Dès les mois de septembre et octobre 1939, la circulation des nomades est interdite dans plusieurs départements. En Indre-et-Loire, les nomades sont même expulsés. Le 6 avril 1940, un décret-loi interdit la circulation des nomades sur l'ensemble du territoire métropolitain pendant toute la durée de la guerre. Ils sont soupçonnés d'espionnage. Le ministère de l'Intérieur charge les préfets de les assigner à résidence en dehors des agglomérations, mais à proximité d'une brigade de gendarmerie. L'invasion allemande ne permet pas l'application du décret dans tous les départements. Les Tsiganes d'Alsace-Lorraine sont les premières victimes de l'occupant qui les expulsent, dès juillet 1940, vers la zone libre où ils sont progressivement internés dans les camps d'Argelès-sur-Mer, Barcarès et Rivesaltes avant d'être transférés en novembre 1942 dans le camp de Saliers (Bouches-du-Rhône), spécialement créé par le gouvernement de Vichy pour l'internement des Tsiganes. En zone occupée, les Tsiganes sont internés en vertu de l'ordonnance allemande du 4 octobre 1940, qui charge les autorités françaises de l'administration et de la surveillance de ces camps. Dans chaque département, les préfets demandent à la gendarmerie de recenser les nomades, puis de les regrouper et de les surveiller. La plupart d'entre eux avaient été assignés à résidence en avril 1940. Dans un premier temps, les Tsiganes sont regroupés dans des lieux très hétéroclites : un château désaffecté, une carrière ou un ancien cinéma. Le 22 novembre 1940, les Allemands interdisent l'exercice des professions ambulantes dans 21 départements de l'Ouest de la France. Ils arrêtent et internent les nomades et les forains qu'ils assimilent à des Tsiganes contrairement aux autorités françaises. Les Tsiganes circulant en Charente et Charente-Inférieure sont internés dans le camp des Alliers à Angoulême. Le 27 novembre, 201 nomades refoulés de la Seine-Inférieure sont internés à Linas-Montlhéry dans la Seine-et-Oise. Les Tsiganes internés dans les petits camps installés dans l'urgence et la précarité en octobre sont transférés dans des camps plus structurés. A la fin du mois de décembre 1940, environ 1700 nomades et forains étaient internés dans 10 camps. Dans l'Est de la France, les Tsiganes sont internés à partir du mois d'avril 1941. A l'automne 1941, environ 3 200 nomades étaient internés dans 15 camps. Les camps les plus importants étaient ceux de Jargeau (Loiret), Poitiers (Vienne), Moisdon-la-Rivière (Loire-Atlantique) et Coudrecieux (Sarthe). En novembre 1941, les Allemands décident de réorganiser l'ensemble des camps d'internement pour nomades, ceci afin de réduire les frais de fonctionnement et de pallier le manque de personnel de surveillance. Les petits camps sont dissous, les internés transférés dans des camps à vocation régionale. De nombreux forains sont à cette occasion libérés. Le plus grand camp d'internement pour nomades, le camp de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) entre en service le 8 novembre 1941. Ses internés proviennent de quatre camps. L'effectif le plus élevé est atteint le 18 août 1942 avec 1 018 internés. Les camps ferment peu à peu; des internés sont libérés et assignés à résidence, d'autres sont transférés dans un autre camp. Des Tsiganes ont ainsi connu 4 ou 5 camps d'internement. Les derniers ne sont libérés du camp des Alliers qu'à la fin du mois de mai 1946 lorsque le décret de cessation des hostilités abroge le décret d'assignation à résidence qui justifiait pour les autorités issues de la Libération l'internement des nomades. Environ 6.000 Tsiganes, hommes, femmes et enfants ont été internés de 1940 à 1946 dans 30 camps d'internement français. Les Tsiganes internés dans les camps français ont vécu ces 6 années dans la plus grande précarité tant matérielle que morale. Ils ont fait face à ces événements seuls sans aucune aide de la population française ni même des œuvres caritatives pourtant très présentes dans les camps d'internement. On ne reconnut aux Tsiganes que le droit d'être internés en famille ; les hommes ne furent jamais séparés de leurs femmes et leurs enfants. Cette sédentarisation forcée fut envisagée par les autorités françaises comme une occasion unique de socialiser les Tsiganes. Les adultes furent obligés de travailler pour des entreprises françaises mais aussi allemandes dans le cadre de l'organisation Todt ou le Service du Travail Obligatoire. Les enfants furent scolarisés, souvent dans l'enceinte même du camp. L'accent fut également mis sur leur éducation religieuse. Dans les cas les plus extrêmes, les enfants furent séparés de leurs parents et placés à l'Assistance Publique ou dans des institutions religieuses pour les extraire définitivement d'un milieu jugé pernicieux. Lorsqu'ils étaient libérés des camps, les Tsiganes ne pouvaient compter sur aucune aide. Ils regagnaient seuls et à pied le lieu où ils avaient été arrêtés en espérant retrouver leur roulotte et tout ce qu'elle contenait. La plupart n'ont rien retrouvé et ont dû recommencer leur vie à zéro. Nombre d'entre eux n'ont eu d'autre choix que de se sédentariser. La plupart des Tsiganes internés en France n'ont pas obtenu la carte d'interné politique, les démarches administratives étant insurmontables pour des gens analphabètes et plus méfiants que jamais envers les Gadgés. Ils n'ont ainsi reçu aucune indemnisation pour ces années passées dans les camps français. Il n'ont pas reçu non plus de compensation morale puisque ces événements n'ont laissé aucune trace dans la mémoire collective. Ce n'est que depuis quelques années que les historiens ont exhumé ce que l'on a longtemps appelé le "génocide oublié", et que des plaques commémoratives rappellent que des camps d'internement pour nomades ont existé en France.